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Comment la colère des agriculteurs s’est étendue en Europe

Soutenus par une large part de la classe politique, les agriculteurs français n’ont pas désarmé pendant deux semaines pour obtenir des « mesures concrètes » du gouvernement. Jeudi 1er février, le premier ministre, Gabriel Attal, a annoncé une pléthore de mesures qui, selon lui, répondent « à une grande partie des attentes » des agriculteurs. Parmi celles-ci figure un renforcement des lois EGalim, qui visent à empêcher que les producteurs ne fassent les frais de la guerre des prix féroce entre supermarchés d’une part, et distributeurs et fournisseurs de l’agro-industrie d’autre part.
De son côté, la Commission européenne s’est engagée à « réduire le fardeau administratif » des procédures de la politique agricole commune (PAC). Mais, dans la même journée, Kristalina Georgieva, la directrice générale du Fonds monétaire international, s’est inquiétée de voir les Etats prolonger des aides au lieu de mener une « nécessaire » consolidation budgétaire.
Jeudi, des milliers de manifestants sont venus de plusieurs pays et quelque 1 200 tracteurs ont envahi les rues de Bruxelles, pour répercuter la colère du monde agricole à travers l’Europe. « Ce n’est pas l’Europe que nous voulons », « sortons l’alimentation du libre-échange », « moins de normes », scandaient les manifestants parlant français, néerlandais, italien ou allemand.
La fronde du monde agricole est partie, en juin 2022, des Pays-Bas, deuxième exportateur mondial de produits alimentaires derrière les Etats-Unis. Un projet gouvernemental visant à faire baisser les émissions d’azote en réduisant le cheptel bovin du pays a poussé des milliers d’agriculteurs néerlandais dans la rue. Au volant de leurs tracteurs, ils avaient bloqué les autoroutes et protesté devant les domiciles de responsables politiques. Des drapeaux néerlandais à l’envers sont devenus le symbole de leur contestation. Après des mois d’action, la révolte contre l’exécutif s’est traduite par un raz-de-marée électoral d’un jeune parti rassemblant des agriculteurs, le Mouvement agriculteur-citoyen (BBB), qui a fait une entrée en force au Sénat en mars 2023.
Des agriculteurs allemands, opposés à la suppression progressive d’un avantage fiscal sur le gazole, ont eux bloqué un ferry, début janvier, dans le nord de l’Allemagne avec à son bord le ministre de l’économie, Robert Habeck, qui s’est inquiété d’un « climat qui s’échauffe » dans le pays. Depuis, les agriculteurs allemands ont mené de nombreuses actions coup de poing, comme le blocage, lundi, des axes de circulation menant à plusieurs ports, dont celui de Hambourg. Ces actions s’inscrivent dans un mouvement de mobilisation massif des agriculteurs allemands, qui s’opposent depuis plusieurs semaines contre la réforme de la fiscalité sur le diesel agricole, qui prévoit à partir de 2026 la suppression d’une exonération dont ils bénéficiaient. Elles interviennent après une période de négociations ayant échoué entre syndicats et gouvernement.
Ces dernières semaines également, des manifestations improvisées se sont déroulées de la Sicile jusqu’au nord de l’Italie et des convois de tracteurs bloquant les routes ont régulièrement été signalés, même si l’ampleur du mouvement n’a pas atteint le niveau des manifestations d’agriculteurs en France, en Allemagne ou en Belgique. Leurs revendications vont des plaintes sur les réglementations de l’Union européenne (UE) à l’impact de l’inflation et du coût du carburant.
Mardi, les trois principaux syndicats agricoles espagnols ont annoncé rejoindre le mouvement de colère des agriculteurs européens, avec une série de « mobilisations » dans l’ensemble du pays au cours des « prochaines semaines ». Ces trois organisations, qui ne précisent pas à ce stade les dates exactes des manifestations, disent vouloir un « assouplissement » et une « simplification » de la politique agricole commune, ainsi qu’un « plan d’action ambitieux » au niveau « de l’UE, de l’Espagne » et des « régions » espagnoles. L’Espagne est avec la France et la Pologne l’une des principales puissances agricoles européennes. Le pays, qui produit une grande partie des fruits et légumes consommés au sein de l’UE, est cependant confronté depuis trois ans à une sécheresse historique, qui a fragilisé nombre d’exploitations et fait chuter les récoltes, en particulier d’olives et de céréales.
L’« exaspération » a également gagné, ces derniers mois, la Pologne, la Roumanie, la Slovaquie, la Hongrie ou la Bulgarie, où les producteurs dénoncent essentiellement la « concurrence déloyale » de l’Ukraine, accusée de brader le prix de ses céréales. Dans la foulée de l’offensive russe, l’UE avait suspendu, en mai 2022, les droits de douane sur tous les produits importés d’Ukraine, et créé des « corridors de solidarité » pour permettre à Kiev de faire transiter ses stocks de céréales. Sauf que beaucoup de denrées ont fini par s’accumuler chez ses voisins européens. Fermement opposés à cet afflux de blé ou de maïs, les agriculteurs bulgares et roumains ont sorti leurs tracteurs pour bloquer les postes-frontières avec l’Ukraine. En Pologne, les manifestations ont poussé à la démission en avril 2023 du ministre de l’agriculture.
Un peu partout en France, les signes de détente se sont multipliés. A l’appel de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles et des Jeunes Agriculteurs, la levée des barrages se poursuivait, vendredi, après une série de concessions gouvernementales. Mais, au-delà de la France, les agriculteurs européens ne décolèrent toujours pas et demandent la poursuite des mobilisations.
Leslie Souvanlasy(avec AFP)
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